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30 juin 2009 2 30 /06 /juin /2009 13:24
Il s'est assis de biais, l'air un peu las.
C'est à cause de son air las que je l'ai abordé, car moi même je le suis un peu, parfois, tant l'idée de collection ne me convient pas. N'avoir que cette motivation : ajouter une main au catalogue, serait détestable. Il faut qu'il y ait autre chose : dans l'art de la série, faire jouer les correspondances, les dissonnances. Mais pas l'accumulation pour elle-même.
Donc il était las et de biais, et du fait de ce double état ses mains se sont présentées dans une chorégraphie inédite : fatigué, il n'a pas fait l'effort de se réinstaller pour me faire face, et donc les mains ont dû prendre un peu de hauteur, un peu d'envol, pour être captées par l'appareil.
J'ai demandé ce qu'il avait à en dire.
Il les a regardé, il a dit "ça va".
Sous-entendu : "je ne m'en plains pas".
Il a poursuivi, avec quelque chose de lent dans la voix. "Les ongles sont un peu trop courts, parce que je les ronge, mais sinon ça va".
Ensuite il a passé un moment à les regarder, à les retourner, comme si c'était la première fois qu'il les remarquait là, au bout de ses propres bras. Il les regardait sans véritable surprise, mais avec un air intrigué, comme quand on retourne un objet dans tous les sens pour savoir à quoi ça peut bien servir, ou plus exactement, comme quand on retombe sur un objet rangé depuis longtemps au fond d'un placard, et qu'on mesure, dans l'écart qu'il y a entre l'étonnement et la reconnaissance, le temps écoulé.
De la main gauche il a caressé les veines saillantes de la main droite, puis il a dit :
"Elles commencent à vieillir." Puis il a ajouté : "Avec le bonhomme".
A ce moment, à ce moment précis où il a lié leur sort à celui du bonhomme tout entier, j'ai eu l'impression, sans doute immodeste, de lui avoir rendu ses mains. Qu'en tout cas, la propriété qu'il pouvait en avoir n'était plus seulement utilitaire.
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commentaires

A
<br /> Oh! c'est beau ici ! ce projet est une merveille. Trouver la bonne distance, c'est tout un art, mais c'est aussi toute la question des relations entre les gens, non ? j'aime ce côté métaphysique<br /> qui affleure, comme ce que vous avez dit dans la vidéo "quelque chose du dessous qui bouge et qui s'arrache", mais sans brusquer, en laissant venir.<br /> <br /> <br />
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C
D'accord, je te tiendrai au courant dès que la Schéhérazade en question m'aura passé son manuscrit...
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C
Très beau texte. Le dernier paragraphe propose aussi une justification à ton projet, et à une littérature qui ne serait pas "utilitaire". <br /> Je vais revenir lire les autres.
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C
<br /> Merci. Je vais de mon côté prendre l'habitude de venir voir ta barbe pousser. Par exemple, la question des oeuvres totales, à 1001 pages, m'interesse<br /> <br /> <br />
D
Les paumes ne sont pas tournées vers le haut, dans une posture qui serait celle de l'attente, de la quête. Les mains ainsi, déployées, à plat devant, sont celles de l'aveugle et du tâtonnement. Ronge t-on d'ailleurs ses ongles pour un autre motif ? Sujet simple que celui de ce blog, austère même. Il est à la fois plein de compassion et d'éloignement - par la grâce d'une qualité d'écriture qui me remplit d'admiration.
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C
<br /> Merci. La question de la distance à l'autre m'occupe, effectivement. Comment trouver le mouvement de rapprochement qui ne soit pas intrusion, pas prise de pouvoir. Comment faire pour que ce<br /> mouvement très personnel dépasse la sphère de l'intime<br /> <br /> <br />
C
Lentement mais sûrement je reprends la main...
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C
<br /> <br /> Quelle bonne nouvelle!  A très bientôt !<br /> <br /> <br /> <br />