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Le désir est une plante.

Dans le secret de mes serres, secrètes parce que transparentes, je cultive. Je préserve en exposant, sous le plastique crissant, sous le verre cassant ; j’aménage avec des soins immenses une visibilité qui soit vivable.
J’aurais rêvé d’y faire pousser un arbre à corossol, un jujubier, ou bien une liane letchi pourvoyeuse de ramboutans aussi exubérants que chevelus, mais, climat oblige, ou bien talent, j’ai principalement le tout venant : pélargonium odorant, haricots volubiles, diverses cucurbitacées, sans oublier persil plat et tomate belge.

Et parce qu’il faut bien passer l’hiver, je bine la terre pour y préparer quelques tubercules. Rendement : en moyenne quinze bonnes grosses patates pour une mandragore un peu chétive et vicieuse.
J’oublie mon rang de tournesols écarquillés, curieux comme pas deux, étonnés de tout, toujours, et très assoiffés.

Au fond à gauche, là-bas, qui s’épand sur l’étagère avec un air de ne pas y toucher ? Une dionée indolente et gobeuse de mouches. Celle-ci pousse toute seule depuis toujours.Je dis cela, mais je prodigue des soins à toutes mes pensionnaires. A toutes et à chacune. Aux vivaces et aux vivotantes. Aux suaves et aux hargneuses. Toutes, je les gratifie de gentillesse et sévérité. Comme les instituteurs, qui font qu’à leur contact on veut être sage, on veut apprendre, on veut grandir. Car je sais bien que mes désirs sont mineurs.

Entendons-nous sur les mots. Gentillesse n’est pas tendresse. Les plantes s’accommodent mal des embrassements, et les soins qu’elles requièrent sont faits de discrétion (la preuve: elles se cachent toutes pour grandir ). Les toucher ? Le moins possible. Les arroser aux pieds, en veillant à ne pas provoquer, par la force de l’eau, d’excavations fatales aux racines, brumiser les feuilles à la rigueur. Non pas parce qu’en les touchant on les flétrirait, mais parce qu’en ne les touchant pas, elles aspirent à vous rejoindre, elles aspirent à se soumettre de plus près à l’expertise et à la douceur de votre main, et elles grandissent de plus belle.
Quant à la sévérité, il ne s’agit pas de celle des professionnels endimanchés, ni de celle des grands-pères en colère, mais de votre regard concerné et non complaisant, votre regard permanent, miroir opaque où se mesure leur grandissement. ( Grandissement : rapport de grandeur d’une image à son objet. Vous êtes l’objet.)


Le monde doit être établi selon nomenclature. Ainsi en est-il de tout végétal. Or, pour celui qui m’occupe, comme pour tout autre d’ailleurs, il faut distinguer les espèces par leur forme de croissance.


Germination
Il existe un désir qui est comme le gland. Ne riez pas. Posé dans sa cupule, lisse et dur comme une certitude, le pauvre a besoin de la griffe du sanglier pour quitter sa vie latente et donner naissance à autre chose que lui-même. Autrement, il demeure dans son hiver et périclite, monade rabougrie.
Tel qui n’a jamais été qu’effleuré, peut-être se désolera bientôt de ne pas avoir cédé. Mais qu’y peut-il après tout, si personne ne l’a blessé jusqu’ici ?

Il faut donc savoir, parfois, procéder à l’éventration d’autrui pour le faire exister en désir.


Bourgeonnement

Il existe un désir prometteur et fragile, pointu comme une langue, poisseux et tendre, dense, si dense.

Il existe un désir bourgeonnant qui triomphe aux branches en mars et qu’on retrouve un petit matin frappé par le gel.
A ces bourgeons naïfs, préférons ceux des cryptophytes, et parmi elles des hélophytes, qui passent la mauvaise saison cachés dans la vase.


Greffes et parasitages
Il existe des désirs qui naissent d’un autre désir, soit qu’ils s’y accrochent pour faire corps avec lui, en hybride, soit qu’ils s’en nourrissent au risque de le tuer. Ainsi le désir en réponse à celui qu’on suscite vient parfois s’enrouler en cuscute, jusqu’à l’étouffement, autour du désir initial. Et si sincère est ce désir réponse qu’on oublierait vite qu’il appartient à la famille des convolvulacées, nées pour sucer, nées pour tuer.


Boutures et Rejets
Il est un désir aux racines adventices, tenace comme le chiendent et l’ivraie, que pas une mort, pas un labourage n’extirpera jamais des jardins. Toujours il revient, comme un ricanement, tromper en un épi le bel ordonnancement des pelouses.


Et puis il est des désirs, mais en était-ce vraiment, qui s’étiolent tout seuls, sans même qu’on y pense.


Angélus (car recueillement toujours s’impose devant les foins coupés).
A voir la persévérance du végétal, on le croirait éternel. Et puisque les désirs qui meurent seuls n’en sont pas, puisqu’une fleur, pour pouvoir en jouir, il faut la couper, vous devinez pourquoi je cultive.
J’injecte au tronc de mes arbres en plein début d’été, à l’heure où les fruits sont juteux, j’injecte l’acide abscissique au mollet de mes arbres, je regarde rougir leurs feuilles, lentement, prématurément, je les regarde abandonner.

Et tristesse me prend, quand je pense à tout le soin que j’ai pris à les faire croître.

Je suis le botaniste de mes renoncements.

 

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