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3 mai 2009 7 03 /05 /mai /2009 21:31

On pourrait faire cela, comme aux infos alterner une nouvelle cocasse, une méteo radieuse, entre deux catastrophes, deux morosités. Traiter le monde comme il  vient à la manière d'un divertissement à mettre en scène : du drame, beaucoup, et puis quelques charmantes saynètes pour décompresser.
Mais :
1/ pas envie de coller à l'événement à tout prix. Je ne suis pas un sismographe, il y en a de toute façon de bien plus performants, moins anecdotiques (par exemple, du 1er mai, je n'aurais eu envie de raconter que cela, la vitrine du restaurant à côté de chez moi arborant une fière pancarte : "depuis 1894, nous sommes fermés le 1er mai", tandis que côté cour, deux pakitanais s'activaient toute la journée à en nettoyer les cuisines)
2/ trop peur de confondre, d'aider à la propagation de la confusion, entre le fait de chercher à se nourrir, et celui de vouloir à tout prix s'alimenter. Car qui cède à ce genre de faim finit vite par se faire bouffer.
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30 avril 2009 4 30 /04 /avril /2009 13:30
"Plus je veux être Moi, plus j'ai le sentiment d'un vide. Plus je m'exprime, plus je me taris. Plus je me cours après, plus je suis fatiguée. Je tiens, tu tiens, nous tenons notre Moi comme un guichet fastidieux. Nous sommes devenus les représentants de nous-mêmes. - cet étrange commerce, les garants d'une personnalisation qui a tout l'air, à la fin, d'une amputation. Nous assurons jusqu'à la ruine avec une maladresse plus ou moins déguisée.
En attendant, je gère. La quête de soi, mon blog, mon appart, les dernières conneries à la mode, les histoires de couple, de cul... Ce qu'il faut de prothèses pour faire tenir un Moi! Si "la société" n'était pas devenue cette abstraction définitive, elle désignerait l'ensemble de ses béquilles que l'on me tend pour me permettre de me trainer encore, l'ensemble des dépendances que j'ai contractées pour prix de mon identité".
p13-14

"Le Moi n'est pas ce qui chez nous est en crise, mais la forme que l'on cherche à nous imprimer. On veut faire de nous des Moi bien délimités, bien séparés, classables et recensables par qualités, bref : contrôlables, quand nous sommes créatures parmi les créatures, singularités parmi les semblables, chair vivante tissant la chair du monde. Contrairement à ce que l'on nous repète depuis l'enfance, l'intelligence, ce n'est pas de savoir s'adapter - ou si c'est une intelligence, c'est celle des esclaves. Notre inadaptation, notre fatigue, ne sont des problèmes que pour qui veut nous soumettre. Elles indiquent plutôt un point de départ, un point de jonction pour des complicités inédites"
p17-18

Oui, comme le propose François Bon, comme d'autres l'ont déjà fait, je peux signer, je signe ces deux pages de L'insurrection qui vient, et j'aurais voulu en signer bien d'autres encore, fortes, mettant en mouvement de nombreuses questions nécessaires.
Mais ce serait être bien légère que de dire que je cosigne le livre entier. Bien léger de ne pas voir tout ce qui en moi, dans mon style de vie, participe à ce que ce livre dénonce. Je fais partie des inclus, et dans ce monde qui certainement court à sa perte j'ai la mauvaise conscience de beaucoup, celle de savoir que j'en mange encore les meilleures miettes. Je fais partie de cette petite bourgeoisie décrite dans le livre qui voudrait bien vivre son petit bonheur familial en dehors des fracas de l'histoire, je fréquente des "graphistes en pull artisanal" qui boivent des cocktail de fruits avant d'alller bêcher un bout de terre dans un jardin partagé, je me mobilise sur des tas de causes, "pourvu qu'elles soient perdues", je fais partie de divers "milieux " qu'il est préconisé de fuir, même si ce n'est pas là que j'y puise ma recherche de sens. En outre, je ne fuis pas la visibilité, comme cela est aussi préconisé, et cette "mobilisation" à la revendication de quelques lignes de ce texte, est de toute façon contraire à la méthode inssurectionnelle que ce livre propose.
 
Et surtout, surtout, je suis extrêmement rétive à cette idée qu'un jour il faudra se compter, placer les lignes, "trouver  les jaunes". Et pour quoi en faire? Les passer par l'épée? Les pendre?
Ce sera sans moi, jusqu'à plus ample réflexion.
Le monde a besoin de tièdes, et d'idées dont on meurt de mort lente.Et même la fin d'une civilisation ne me paraît pas un bon prétexte pour appeler à la violence.
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29 avril 2009 3 29 /04 /avril /2009 20:05

« Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n’est pas d’objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu’une fenêtre éclairée d’une chandelle. Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffle la vie. »

Charles Baudelaire, « Les fenêtres », Le spleen de Paris

Voilà comment je me console de ces mains qui ne se sont pas décrites, qui ne se sont laissées photographier que fermées. Il ne voulait rien en dire, n'y avait jamais pensé et n'avait pas envie d'essayer au moment où je lui proposais. J'ai été maladroite certainement. Sa peau mate, son beau type asiatique, et quelque chose dans son regard qui avait l'opacité de celui qui n'est pas en connivence avec le milieu dans lequel il évolue : j'ai pensé un moment qu'il était seulement de passage à Paris, j'ai redouté qu'il ne parle pas français, et que mes questions tournent court. Je lui ai posé la question comme ça. Parlez vous français? C'était maladroit et je regrette si je l'ai blessé. Mais il n'a pas dit non pour la photo, ou peut-être n'ai-je pas voulu l'entendre, ce non, derrière les protestations qu'il n'avait rien à dire de ses mains.

Toujours est-il, je n'ai pu que les regarder, ces mains, en compensation de la parole que nous aurions pu échanger. Et j'ai repensé à ce que m'avait dit la veille mon amie au rubis, que regard ne venait pas des yeux, mais de plus loin, de plus fort :

« Regarder » en français n’a été associé à la vision que dans un second temps, il signifiait d’abord « être attentif ». D’après son étymologie il provient du francisque « guarder », avoir égard à, en parlant d’une personne (wardôn, être sur ses gardes, ce qui a donné en allemand warten, attendre, en anglais, to ward, protéger).

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28 avril 2009 2 28 /04 /avril /2009 21:23


"Dactylographie : comme si nous n’étions jamais parvenu à écrire autrement qu’avec les doigts, quoique ; on nous demande pour nous faire vivre une manifestation manuscrite de notre motivation."


Extrait d'un très beau texte de Pierre Coutelle dans son blog Commettre, sur la machine à écrire, la machine d'avant l'écran simultané, d'avant le copier/coller. Sur la bête machine à écrire synonyme en son temps d'industrialisation de l'écriture et d'aliénation des dactylographes, et aujourd'hui, dans sa péremption, objet de méditation sur ce que nous avons gagné à aller plus vite. Texte séparé en deux parties parce que nous avons le droit de prendre le temps, pour écrire, pour lire, et que ce site est suffisamment beau pour qu'on s'y attarde. 

 machinécrire 1 /  machinécrire 2

(et moi, bien sûr, me touche énormément cette question réactivée du chemin entre la main et le regard : vers quel ruban d'effacement tournaient nos regards quand l'écran n'était pas face à nous? Question, aussi, du jeu entre la manipulation et l'image, maintenant qu'au clavier s'adjoint un écran, et comment faire que ce jeu soit honnête et nous grandisse, comment faire pour que nos mains soit maitresses de leurs actes et que nos regards circulent dans les images qu'ils choisissent, plutôt que de rester fascinés comme des petits lapins dans les phares? Et du coup je re-cite Pierre Coutelle parce que pourquoi s'en priver :

"L’ordinateur est l’immédiateté factice de l’écran, ce que l’on y voit est toujours interprétation, rendu, mise en forme. Plus cela paraît immédiat et simple plus l’écart du produit au rendu est grand.
- Incise : même immédiateté factice du désir marchand, rendre invisible la chaîne immense qui rend une chose désirable à acheter, tout partout, n’avoir qu’à tendre la main, la carte à sortir vers ce scintillement de chalandises. Nous savons pourtant, par Schwob, que sous le masque d’or le roi est mort. -"

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27 avril 2009 1 27 /04 /avril /2009 13:30
Lu ce matin, à propos de la grippe porcine, que sa possible transformation en pandémie était liée à des recombinaisons virales,  "qui pourraient s'attaquer à des populations naïves."
J'imagine que population naïve est le terme pour désigner les cohortes de corps non immunisés, ne conservant pas de trace, de mémoire, des virus, dans cette forme ainsi recomposée.

Je pense, en même temps qu'à nos corps, à nos consciences, elles-mêmes parfois en peine pour bien reconnaître, dans leur forme recomposée et moderne, certains vieux discours toxiques. (Le lien est à titre d'exemple, on peut en trouver beaucoup d'autres, nous sommes une époque très virale)
On pourrait s'interroger sur les degrés d'urgence, le danger respectif que courent aujourd'hui nos corps et nos consciences :  n'étant pas d'humeur très joueuse, je ne prends pas de pari.
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24 avril 2009 5 24 /04 /avril /2009 20:00
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23 avril 2009 4 23 /04 /avril /2009 21:28
A République j'ai sursauté. J'ai sauté d'un bond de mon strapontin, et puis j'ai vu, on était à République, je n'étais pas arrivée. 
A posteriori : République, c'était un bon présage.

Il avait l'air amusé quand je me suis assise de nouveau à côté de lui. J'ai expliqué, j'ai dit que j'étais dans mon livre, j'ai cru avoir loupé ma station. Il m'a dit : lisez, je vous préviendrai. J'ai trouvé ça gentil, et puis drôle aussi, parce comment m'aurait-il prévenu, il ne savait pas où j'allais.
Alors j'ai regardé ses mains. Forcément, il avait beau ne pas être en face de moi mais à côté, des mains comme ça je ne pouvais pas les laisser passer.

- Alors vous me dites que vous lisez et en fait vous regardez mes mains.

On a essayé de prendre quelques photos, mais ça ne rendait pas bien, et on a convenu de les faire sur le quai. Car il s'est avéré que nous descendions à la même station.
Nous avons fait plusieurs essais, nous sommes tombés d'accord que celles là étaient les meilleures, sur fond de bitume ces mains là passaient très bien.

Entre temps on s'était mis à se tutoyer.

De ses mains je sais qu'une des deux ne s'ouvre pas bien car elle a été trouée. La cicatrice se voit peu, sous les dessins. Il y a deux inscriptions en écriture thaïe, son prénom, et le nom de la boxe thaïe, car il en a fait beaucoup. Il a une tête de mort sur la main droite (la moto) et une fleur sur la main gauche. Il a les 5 points (seul entre quatre murs), dont je ne connaissais pas la signification, et qu'il a camouflé pour ne pas avoir d'ennui au travail. Il m'a dit avoir aussi des yeux sur les genoux, un éléphant dans le dos, la tête de Maure Corse sur le poignet, et bien d'autres choses encore qu'il ne m'a pas décrite en détail, car sa peau est un vaste territoire marqué d'absolument partout, et l'emplacement de quelques tatoutages lui est incertain.
Il a fait son premier tatouage à seize ans, et le deuxième, la Corse, il l'a coloré seul, chez (j'ai oublié le nom) à Pigalle. Il m'a demandé si je connaissais l'endroit. J'ai dit non, que c'était un monde qui m'était étranger. Il a rigolé, il m'a dit, faut sortir un peu, Cécile. J'ai déjà sorti la tête de mon livre pour regarder ses mains : c'est un beau début.

Il m'a dit aussi, que sur son pied droit, je crois, toujours à cause de la boxe thaïe, il avait fait inscrire : morituri te salutant.
Ceux qui vont mourir te saluent. On ferait bien parfois, de s'adresser comme ça les uns aux autres : pas pour se donner des coups de pieds, mais pour ne pas oublier de se serrer la main.
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22 avril 2009 3 22 /04 /avril /2009 21:21


Désormais nous savons faire autrement. Nous n'avons plus ces faces de paysans butés. Nous savons ce qui s'est passé, quand et où. La taille des blessures nous la connaissons au millimètre près. Sur nos écrans, nous voyons sans avoir besoin de toucher, sans être touchés non plus.

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21 avril 2009 2 21 /04 /avril /2009 20:38
Ces mains là, j'y pense depuis le début. J'avais son accord, mais j'attendais un moment privilégié (c'est un privilège que de la connaître, pourquoi le galvauder?)

- Tu veux ma main avec ma bague d'empoisonneuse?
J'ai rigolé, j'ai dit oui
Elle a toujours porté des bagues lourdes, et aussi, avant, au bout des doigts, un fume-cigarette. 
Elle aime ces poids aux doigts.
Elle si légère, je me disais que cela nous l'ancrait un peu à la terre. Mais non. Ce n'est pas du tout cela. Le poids de ses bagues n'est pas une ancre pour frêle esquif, c'est un prolongement. Elle aime ces poids aux doigts car la main se leste alors d'un geste plus long, plus lent.
Elle me dit : c'est trop étriqué d'être seulement soi-même. C'est parce que le corps tout seul est une frontière mesquine entre elle et le monde. Alors, si le geste devient ample du poids qu'il porte,  la frontière s'efface dans ce geste. Il n'y a plus une rupture nette entre le dedans de ses pensées et le dehors des actes, il y a un rivage ; ce sont ses gestes.

Un rivage, c'est l'acceptation d'un flux, d'un reflux. Effaçant la ligne de partage entre elle et le monde, elle est fragile : la bague devient bouclier, le geste alourdi est une armure. 

- Mais tu sais, ma bague d'empoisonneuse n'est pas si lourde que ça, puisqu'elle est vide. Mais elle me suffit. Le vide qu'elle contient, c'est comme le souvenir de la pesanteur, ça suffit à prolonger le geste.

J'ai demandé, amatrice de secrets toujours, si parfois elle y cachait des choses, dans sa bague d'empoisonneuse, à part le souvenir de la pesanteur. Elle a rit, elle a dit, oui : parfois elle y loge quelques sucrettes. C'est que les secrets ne sont pas faits pour être conservés dans des receptacles, dans des écrins. Les secrets, les vrais, sont faits pour être roulés sans cesse sur le flux et le reflux des rivages.  

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20 avril 2009 1 20 /04 /avril /2009 19:48
- "Je n'ai pas de belles mains
- Si, elles sont belles. Et puis vous avez une jolie bague
- C'est à ma mère. Je ne la mets jamais, vous savez. Aujourd'hui je l'ai mise, parce que je reviens d'un enterrement. Quelqu'un de la famille, une vieille personne. Alors j'ai mis la bague de ma mère, pour qu'elle m'accompagne. Comme quoi, vous avez raison, les mains ont une histoire. Cette ligne je la prends tous les jours, c'est celle de mon travail. Vous m'auriez croisé une autre fois, j'aurais eu des bijoux fantaisie, pas cette bague. Mais aujourd'hui, j'avais besoin d'elle
.


Comprendra que le deuil où chacun participe
Doit permettre à chacun d'y mélanger son deuil

Sabliers et lacrymatoires : élégies guerrières et humaines /...
Montesquiou-Fezensac, Robert de (1855-1921), 1917

source :
www.gallica.bnf.fr
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