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19 novembre 2009 4 19 /11 /novembre /2009 21:15


L'heure est grave. Il faut vraiment que Nathalie trouve du boulot.
Le problème est que le nombre d'offres a dramatiquement diminué (j'ai les chiffres quelque part, mais où? Il me faudrait un archiviste pour la documentation relative au projet), et que je manque cruellement de temps pour l'aider à trouver. Je rechigne à l'envoyer aux Ulis ou à Roissy en Brie, à cause des enfants surtout, car comment ne pas arriver trop tard le soir?
J'ai réfléchi aux secteurs susceptibles d'embaucher. J'ai pensé lui proposer :
- une société de recouvrement de créances client
- une PME de fabricants de masques anti-grippe
- une structure de défaisance pour actifs bancaires pourris
Mais est-ce vraiment le meilleur choix?
Je sais, ce n'est pas l'heure de faire la fine bouche. Mais je veux lui laisser encore une chance : vous.
Voila : vous avez aujourd'hui l'opportunité de devenir l'employeur d'un personnage de fiction. Le salaire est raisonnable : un peu de votre attention. Les charges sociales sont déductibles.
L'embauche de Nathalie est donc mise aux enchères à celui ou celle qui fera la proposition la plus sérieuse (ie : vraisemblable, et susceptible de faire un fil de récit que je pourrais tisser, en bonne ouvrière).
Merci pour elle, d'avance.
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17 novembre 2009 2 17 /11 /novembre /2009 13:00



Nathalie sait bien qu'il faut qu'elle commence par rafraîchir son CV. Elle sait bien que comme la salade, le CV est une feuille fragile et qui ne supporte pas la péremption. Or, comme la salade, le CV doit être appétissant.
Donc Nathalie prend son courage à deux mains, l'ordinateur de sa fille, et recherche le dernier enregistrement de son fichier CV. Evidemment elle ne le trouve pas, et elle doit, laborieusement, tout recommencer.
L'exercice de se pencher sur sa vie par le filtre du CV a quelque chose de douloureux - chameau par le chas de l'aiguille. Et puis toutes ces béances qu'il faut colmater par des assemblages judicieux de dates, par des formulations adroites.
Sur les loisirs, elle note qu'elle nage, en eaux troubles d'ailleurs aujourd'hui, qu'elle dessine, même si ce n'est plus tout à fait vrai, et puis qu'elle lit.
Notant cela, l'envie lui prend d'aller à la bibliothèque, la finalisation du CV peut bien attendre encore une heure.
Pour le choix du livre, elle allait s'en remettre au hasard, comme d'habitude.
Mais elle tombe sur ce titre, CV Roman, de
Thierry Beinstingel.


Elle ouvre, elle lit cela :
"Dans nos sacoches attendent quelques individus aplatis et résumés chacun par une feuille A4. Nous attendons la fin de nos conversations pour ouvrir nos attachés-cases et présenter l'un d'entre eux à titre d'exemple, glisser d'un air entendu la feuille sous le nez du DRH."

De lire cela qu'elle sait déjà, qu'elle n'est pas la seule à devoir s'aplatir dans le rouleau compresseur du CV, lui fait sentir quelque chose qui n'est pas de la consolation, qui n'est pas de la tristesse, mais les deux en même temps. Quelque chose comme l'idée de la fraternité.

Merci à
Philippe Annocque de m'avoir fait découvrir ce livre bouleversant, et cet auteur.
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14 novembre 2009 6 14 /11 /novembre /2009 22:44



Ce soir Nathalie a bu un petit vin léger qui lui a donné les yeux brillants et l'esprit vagabond. Les enfants sont couchés, elle est restée dans la cuisine avec son mari, à parler. Ils finissent leur verre et rient de temps en temps, se regardent dans les yeux.
Elle ne pense plus à ce travail qu'elle doit trouver. Elle ne pense pas non plus qu'elle s'était promise de faire un peu de repassage, pour s'avancer. Lui, ne pense pas qu'il a loupé le match France-Irlande. Il pense à maintenant, il pense à tout à l'heure, il la trouve belle.
Voilà ce que je peux répondre à ceux qui m'ont fait la remarque qu'on n'en savait pas beaucoup sur la vie amoureuse et sexuelle de Nathalie Pages, et à cet ami qui me demandait tout à l'heure de le prévenir si elle était un coeur à prendre. Oui, ce soir Nathalie est un coeur à prendre, mais je crains que le preneur soit déjà dans la place.
Laissons-les, je crois qu'ils remontent le couloir vers la chambre.
(Dit en langage statistique : ils font partie des 7%.)

Graphique tiré d'une enquète TNS SOFRES d'avril 2009 sur la sexualité des français, pour plus d'informations cliquez ici. Ou bien
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10 novembre 2009 2 10 /11 /novembre /2009 21:45



C'est décidé, après le 11 novembre Nathalie se reprend en main, elle doit trouver du travail avant la fin du mois. Elle essaie de mesurer ses chances. Elle essaie de séparer, dans ses chances, ce qui relève de la conjoncture, ce qui relève de sa personne. Sans le savoir elle tourne autour d'un mot, absent de son vocabulaire, absent du dictionnaire. Absent et pourtant puissant, : c'est lui qui synthétise ses chances de trouver bientôt du travail.
Nathalie tourne autour du mot EMPLOYABILITE.

C'est un mot complexe qui se nourrit de plusieurs facteurs.

Des facteurs liés à la personne : certaines données statiques et objectives jouent sur l'employabilité de Nathalie. Son âge moyen n'est pas si mauvais quand on pressent que l'employabilité selon ce critère se déroule dans le temps selon une courbe en cloche, peu employable quand on est jeune,  quasiment plus après 55 ans,  mais elle est déjà sur la pente descendante (c'est un peu un complexe d'origine chez elle). Son appartenance au beau sexe de ce point de vue est un mauvais point, quoiqu'elle sorte de sa période de fécondité, du moins peut-on l'espérer. Sa formation initiale, BTS de comptabilité gestion ce n'est pas tout à fait le Pérou mais ... Les périodes d'inactivités ne sont pas un plus. Certains facteurs dynamiques joueraient en sa faveur : si elle avait suivi de la formation continue, mais ce fut très peu depuis qu'elle travaille en intérim, ses capacités de mobilité géographique sont faibles, sa motivation, fluctuante. 

Mais le mot employabilité se nourrit aussi de facteurs liés au management : organisation du travail, gestion des compétences, dispositifs d'aide à la mobilité, système de formation professionnelle, etc.. Le problème fut surtout pour elle de n'en avoir que très peu, de management, passant de poste en poste comme l'oiseau léger de branche en branche. Pas de nid pour Nathalie.
Quant au marché du travail on sait ce qu'il en est, sa seule chance est que son métier, la gestion, n'est pas en voie de perdition.

Illustration : Trés beau graphique tiré d'un ouvrage en ligne consultable sur www.insep-editions.com , dans lequel il est rappelé, merci, que "le terme d'employabilité ne devrait jamais s'employer seul, sans quoi il renvoie effectivement au seul registre de l'évaluation, du pesage."
Le seul souci c'est que certains mots sont plus lourds que d'autres, quand ils entrent dans un discours c'est tout le discours qui penche, quels que soient les contrepoids imaginés.
Mais cette question de la gravité, au sens premier aussi, des mots, et des nombres, devra être explorée plus attentivement.
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8 novembre 2009 7 08 /11 /novembre /2009 21:11


Identité nationale. C'est un débat qui laisse Nathalie perplexe. Sa propre identité lui semble si incertaine, déjà, elle pourtant bien moins complexe qu'une nation. Et si elle tente de se projeter comme élément constitutif, infinitésimal, de cette nation française, le doute la reprend. Elle, dont les origines se perdent vite dans l'oubli, sent bien qu'elle n'est pas française depuis si longtemps que cela.
Du côté du père, ce nom de Pages, venu de l'occitan, et qui signifie le paysan. Un nom qui vient d'une langue mise au pas, pour désigner une classe subalterne, pas de quoi se sentir appartenir.
Du côté de la mère, c'était Lenoir. Noir par rapport à qui? L'ironie est que le noir s'est porté, dans l'histoire de cette famille, sur les pieds, puisque pieds noirs ils sont devenus, c'est leur identité, depuis 1962. Et avant cela, dans cette famille toujours, l'identité nationale leur semblait plus vaste et plus puissante, et comme à étages. En tout cas ce n'était pas une question. Du moins pas pour eux.
Et si on remonte un peu, du côté de la mère, la mère de la mère de la mère, ça donne des noms vraiment pas français, des noms du Nord, des flandres certainement, des noms qui reconduisent encore une fois son identité aux frontières.
Bien sûr elle sait qu'on ne doit pas confondre identité et origine. Mais à partir de combien de temps passé?

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2 novembre 2009 1 02 /11 /novembre /2009 19:48


Hier c'était jour des morts. Nathalie a pensé à la longue chaine de générations dans laquelle elle s'insère. C'est une écriture d'elle-même comme une autre, cette arborescence des héritages. Déjà elle n'est plus le dernier fruit de l'arbre.

Et surtout, elle sait que parmi les noms qui figurent dans ses ascendants, certains ne sont plus, certains vont devenir illisibles. Biffures du temps.


A ces disparus, il faudrait ajouter ceux qu'aucune inscription dans les livrets de famille n'est jamais venue officialiser, les enfants non nés.


De l'effacé en amont, de l'inconnu en aval. Cela laisse peu de place aux choses écrites pour se confirmer à soi-même son existence.


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30 octobre 2009 5 30 /10 /octobre /2009 11:22



Et pendant ce temps, que fait Nathalie? Elle essaie de ne pas se poser de questions.
Elle a décidé de cesser, pendant cette semaine de congés scolaires, ses recherches d'emplois. De toute façon il faut bien que quelqu'un s'occupe des enfants. Donc, elle s'en occupe. Et que fait elle? Que font-ils?
Ils regardent la télé. Bien sûr ils ne font pas que ça. Mais quand ils ont épuisés leurs idées d'occupations, d'activités, ils allument la télé.
Si bien que Nathalie augmente considérablement, ces derniers temps, son absorption par le petit écran.
Alors qu'en temps "normal", celui où elle travaille, elle se situe très en dessous de la moyenne de sa catégorie de femme active moyennement diplômée habitant intra muros, et n'écoute distraitement que les infos du 20 heures, par les portes ouvertes de la cuisine et du salon, elle se retrouve aujourd'hui en haut des consommations réservées aux femmes aux foyers, 26 heures par semaine, pas loin de 4 heures par jour, et même souvent, elle s'asseoit devant.
Sans habiter dans la télévision, on peut dire qu'elle y séjourne. Parfois elle trouve ça marrant.

C'est les vacances, c'est la vacance.


Graphique bricolé à partir des données de la grande enquête du ministère de la culture sur les pratiques culturelles des français.
+ biblio : Choé Delaume, J'habite dans la télévision, et Christian Prigent, Le monde est marrant (vu à la télé), voir liens ci dessus
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23 octobre 2009 5 23 /10 /octobre /2009 21:05


Revenons maintenant à Nathalie Pages, mais en restant sur cette question de nos périmètres, de nos territoires. Bien sûr cela n'a rien à voir. Nathalie est totalement libre de ses mouvements, et s'en réjouit chaque jour.
Observons donc, par exemple, la liberté de ses mouvements à l'intérieur de son appartement.
Au bout de seulement quelques jours d'enregistrement, on peut constater que ceux-ci suivent des cheminements réguliers, et peuvent être classés selon une typologie assez simple : il y a les déplacements du matin, et les déplacements du soir.


Les déplacements du matin commencent à partir du lit, filent aux toilettes, vont dans la cuisine préparer café et petit déjeuner, reviennent à la chambre pour chercher les habits, font des courtes haltes dans les chambres des enfants pour les réveiller, arrivent à la salle de bains, puis de nouveau cuisine, puis salle de bain - lavage de dents, puis sortie.

 

Les déplacements du soir sont moins saccadés, du fait de la fatigue, et se concentrent sur l'espace de la cuisine : préparation du dîner, débarassage de la table. A noter une brêve incursion au salon pour vérifier le programme à la télé, debout devant le canapé, puis l'abandon, le lit rejoint, le sommeil.

 

Les déplacements de Nathalie seraient-ils aussi prévisibles et contraints que ceux dont on voit parfois la trace dans des pelouses d'été, et que les enfants nomment "autoroutes à fourmis"? Ses cheminements seraient-ils tant canalisés qu'il n'y aurait pas finalement besoin de la notion de surface pour définir le lieu où se tient sa vie, mais seulement du mince vocable de ...ligne?

(Et cela, alors, ne serait pas dû seulement à son statut de personnage écrit).

Rassurons-nous, il existe au moins un moment par semaine où Nathalie prend possession, par ses gestes, de la totalité de son espace : c'est le jour où elle fait le ménage.


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21 octobre 2009 3 21 /10 /octobre /2009 22:04


Si Julie n'entend plus le voisin sortir entre minuit trente et minuit quarante cinq, ce n'est pas qu'il est mort. Ce n'est pas non plus qu'il est parti.
Du moins, oui, pendant tout un moment il n'était plus là, Julie avait remarqué cela, qu'on ne le croisait plus, que sa boite aux lettres était très pleine.A peine Julie avait vu une dame un matin ouvrir sa porte, prendre son chien, l'emmener. Puis, plus de nouvelles.
Mais depuis une semaine il est de nouveau présent, c'est attesté, et son chien aussi est là. Son chien, une espèce de Rottweiler très souriant.
Le voisin est là et pourtant, entre minuit trente et minuit quarante cinq : silence de la machine.

Ce qu'il faisait avant, entre minuit trente et minuit quarante cinq, est sans mystère : il sortait son chien. Il prenait le prétexte de sortir son chien pour se sortir lui-même une dernière fois avant sommeil. Et il faisait un long tour, toujours le même, avec les mêmes arrêts, et sans petit sac en plastique pour ramasser (si) besoin. Qui aurait été là pour contrôler, entre minuit trente et minuit quarante cinq, les déjections canines laissées dans la rue Géo Chavez?
Ce n'est certainement pas pour cette infraction qu'il a été un jour interpellé.
Mais toujours est-il que son absence de plusieurs semaines, ce n'était pas des vacances.
Le voisin revient de prison.
A vrai dire il n'en est pas tout à fait sorti, même s'il est revenu.
Car s'il ne sort plus entre minuit trente et minuit quarante cinq désormais, c'est qu'il porte un bracelet électronique, et que ses horaires de sorties autorisées ne sont plus si tardifs. Désormais son chien se promène aux heures ouvrables, et sur un périmètre réduit : un carré noir pour sorties diurnes.


Carte : itinéraire des anciennes sorties nocturnes du Rottweiller, et du nouveau périmètre de sortie autorisé. Je précise, que justement ce texte est d'un imprécision toute romanesque (la bonne excuse) sur les réelles conditions du bracelet électronique. Pour y remédier, voici une première 
description du dispositif, un témoignage parmi d'autres, une interview de Florence Aubenas, Présidente de l'Observatoire international des Prisons, prenant position en septembre sur le projet de loi pénitentiaire, et surtout, le lien vers le site de l'OIP et notamment sur la loi désormais votée.
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19 octobre 2009 1 19 /10 /octobre /2009 19:09



Ce qui ferme la bouche de Julie, c'est un autre silence. Le silence d'une machine, d'un témoin. Julie souffre de l'absence d'un bruit qui, avant, rythmait ses nuits.
Car depuis quelques années Julie s'endort au rythme de l'ascenseur. Son lit, logé dans un renfoncement de la chambre qu'elle partage avec sa demi-soeur, longe la cloison de la machinerie (voir plan). Dès que l'ascenseur est appelé elle entend le vombrissement de la machine. Au début, ce bruit la génait, l'exaspérait. Puis, elle s'est mise à l'étudier, à l'attendre. Progressivement elle a pu distinguer, rien qu'à l'ouïe, quels sont les étages desservis. Elle a fait des recoupements : horaires, étages, noms sur les boites aux lettres d'en bas. Elle a développé une science aussi fine que celle des sioux collant leur oreille aux rails : elle sait que le premier déclenchement de l'ascenseur à 5h25 le matin, c'est le voisin du premier qui part superviser les ménages dans des bureaux de la Défense. Elle sait qui sont les gens qui rentrent manger entre midi et deux.  Elle sait quels enfants rentrent de l'école à 16h30, quels autres vont à l'étude. Elle a même repéré qu'entre 15h30 et 16h00, l'ascenseur descend du quatrième, où habite Monsieur ..., célibataire, au second, où habite Madame ..., mariée mais dont l'époux travaille, et qu'une demi-heure plus tard l'ascenseur fait le chemin inverse.
Elle sait tout ça, à force d'écoute attentive, allongée dans son lit à telle ou telle heure du jour.
Elle connait tous les rythmes intimes de l'immeuble, la rumination incessante de ses habitants.
Et cela bat la mesure de sa propre vie désormais. A tel point qu'elle ne s'endort jamais avant d'avoir entendu le dernier appel de la machine,entre minuit trente et minuit quarante cinq. C'est l'heure du voisin de palier, celui qui appelle toujours Nathalie, sa mère, par son prénom. Chaque jour normalement à cette heure il sort, et cette heure incongrue interroge Julie. L'interrogation se prolonge en rêverie. Puis la rêverie se dilue dans le long sommeil de la nuit.
Or, depuis quelques jours, entre minuit trente et minuit quarante cinq, la machinerie de l'ascenseur reste silencieuse, et Julie ne s'endort plus.

Graphique : fréquence et horaires de déclenchement de l'ascenseur (sans données communicables)
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